Bonjour à tous et toutes,
Nouvel article sur notre blog.
Aujourd’hui toujours avec l’aimable autorisation de Lydia, nous vous partageons deux articles de Richard.
Nous avons déjà partagé 4 articles de Richard, ici et là !
Ces articles restent la propriété de Richard Khaitzine et des ayants-droits de celui-ci ! Ils sont reproduits ici avec le soutien de Lydia. Nous vous invitons à suivre l’excellent site qu’elle à mis en place :
richardkhaitzine.wixsite.com/hermeticae
Le premier article est intitulé Les mystères de Montmartre, il fut publié en plusieurs parties dans le bulletin mensuel Le Vieux Montmartre. Société d’histoire et d’archéologie des IXe et XVIIIe arrondissements. Une première partie dans le Fascicule N°62 de Janvier 1997 puis dans le Fascicule N°64 de Juin 1998.
Le second article est intitulé Il était une fois… Brocéliande.
Voici le premier article :
« DU SANG , DES LARMES ET DES CHANSONS »
1870. Après la cuisante défaite de Sedan, et en dépit de l’héroïque résistance des troupes françaises, notamment en Seine-et-Mame, l’armée de Napoléon III est vaincue. Thiers et le gouvernement négocient la paix et signent un traité qui laisse la France exsangue. La population humiliée a le sentiment d’avoir été trahie par ses dirigeants et des généraux à l’incompétence notoire. La résistance s’organise, résistance dont l’épicentre sera la commune de Montmartre. Ces événements douloureux débouchèrent sur des élections – dont il faut rappeler qu’elles furent démocratiques, fait trop souvent occulté par les fabricants de manuels historiques d’une époque pas si lointaine et qui s’apparentaient plus à des faussaires qu’à des pédagogues. Ce gouvernement populaire n’ayant pas été reconnu par celui de Versailles, ce fut le drame de la Commune.
Les lendemains qui chantent
En mai 1871, l’ordre régnait dans Paris, mais à quel prix ? Celui du sang dans lequel les « talons rouges », autrement dit les officiers Versaillais, trempèrent leurs bottes : le sang des 22.000 victimes d’une répression aussi sauvage qu’impitoyable. On s’étonne de l’importance de ce chiffre quand on le compare à celui de ceux qui luttèrent réellement sur les barricades.
Mais le peuple n’a pas la mémoire courte et il voua au régime une haine et une rancune farouches. L’épilogue sanglant de la Commune a décapité le mouvement libertaire français certes, mais pas les idées généreuses qu’il véhicula. En 1873, la bourgeoisie soucieuse de se donner bonne conscience fait voter une loi prévoyant la construction d’une basilique au sommet de la Butte. Cet édifice sera financé par une souscription nationale. L’érection du Sacré-Cœur sera réalisée entre 1876 et 1910. Sur ce monument, l’un des plus célèbres de Paris, et à l’esthétique contestée, tout semble avoir été dit. Mais s’agit-il uniquement d’une église banale, inspirée du style romano-byzantin de Saint-Front de Périgueux ? Les monuments sont ce qu’en font les constructeurs et non ce que souhaitent voir s’élever les décideurs. Or le Sacré-Cœur est un fantastique défi, planté en plein Montmartre, à l’église catholique et à cette bourgeoisie repue qu’elle sert si bien.
Mais pourquoi élever une église nommée Sacré-Cœur ? Pour comprendre, il nous faut revenir à l’année 1672. A cette époque, une religieuse visitandine de Paray-le-Monial, Marguerite-Marie Alacoque répandit la dévotion au Sacré-Cœur du Christ, à la suite d’une apparition dont elle aurait bénéficié. Ce culte devint public sous l’impulsion de Marie Leclzinska, en 1765. La France fut consacrée au Sacré-Cœur par Louis XVI, en 1792. Le symbole, un cœur surmonté d’une croix, en fut porté, cousu sur leur veste, par les Chouans.
L’érection du Sacré-Cœur sur la Butte Montmartre se fit à l’instigation d’une organisation connue sous le nom de Hiéron du Val d’Or de Paray-le-Monial. Le fondateur de cette organisation fut un jésuite, le Père Drevon, lequel prêchait le retour du Christ et son règne social. A ce premier fondateur vint se joindre un Basque espagnol, le baron de Sarachaga (1840-1918). Alexis de Sarachaga fonda le Musée-Bibliothèque de Paray-le- Monial avec l’aide du Baron Félix d’Alcantara, du Docteur Henri Favre et de sa fille Mme Bessonet-Favre. Ces deux dernières personnalités étaient membres des cercles ésotériques parisiens.
Sous la direction du Baron de Sarachaga, le Hiéron adopta une ligne philosophique empreinte de la pensée gnostique et cette orientation explique l’étrange symbolisme de la basilique montmartroise. Il faut croire que les autorités ecclésiastiques n’en furent pas dupes car le baron, persécuté, fut contraint de se retirer à Marseille.
La dévotion au Sacré-Coeur n’était pas neuve, et déjà, dans l’antiquité, un culte lui était rendu, ainsi qu’en témoigne une amulette égyptienne conservée au musée de Rennes. L’image du cœur rayonnant est également omniprésente chez les Templiers, elle est visible dans les commanderies d’Angleterre et sur les murs du donjon de Chinon. Il s’agit d’un culte très ancien, celui du Cœur du ciel, autrement dit le Soleil. Par conséquent, du moins à l’origine, le mouvement de Paray-le-Monial n’était nullement inféodé au Vatican. Il se rattachait à la Gnose, à une connaissance de nature métaphysique et ésotérique, un courant souterrain qui traversa toutes les époques, et dont nous verrons qu’il eut de singuliers prolongements, à la fin du XIXème siècle, à Montmartre.
Pendant que s’effectuaient les premiers travaux de construction de l’église montmartroise, Paris devint la capitale du plaisir. La population qui avait souffert des privations de la guerre de 1870, puis vécu le drame de la Commune, n’avait qu’un désir oublier. Après avoir pleuré, Paris se mit à chanter. On vit fleurir les cafés-concerts, et leurs rengaines insipides qui n’étaient pas toujours du meilleur goût. Paris s’étourdissait dans une fête permanente. Héritier des guinguettes et des goguettes – dont l’étymologie livre de troublantes informations sur lesquelles nous reviendrons un jour – le caf’conc’ devint un divertissement de masse et le reflet d’une société qui annonçait la société matérialiste du XXème siècle, avec sa course effrénée à la consommation et à la reconnaissance sociale. Parallèlement à ce phénomène, se développa le goût de l’affichisme, sous l’influence, notamment, de Jules Chéret. Les journaux proliférèrent, le spectacle devint une véritable industrie. Paris, ville Lumière, affectionna la vie noctambule.
Après la fièvre de liberté, Paris connut celle de l’ivresse que procure le plaisir. Qu’étaient devenus ces hommes et ces femmes qui avaient lutté pour une certaine idée qu’ils se faisaient de la démocratie, de la justice, de la fraternité et de l’égalité ? Le mouvement libertaire avait été décapité par le gouvernement de Versailles, ses figures de proue avaient été fusillées ou déportées. Néanmoins, les idées n’en continuaient pas moins de vivre. A l’étranger, en Angleterre, en Suisse, en Belgique, les théoriciens de l’Anarchie et certains activistes en exil travaillaient à ce vieux rêve en apparence inaccessible, d’une société idéale. Eux aussi rêvaient de lendemainschantants, mais paroles et musique étaient très différentes de celles dont résonnaient les temples parisiens du spectacle. Tel était le climat économique, social et philosophique de cette fin du XIXème siècle.
à suivre…
RICHARD KHAITZINE
Fin de la première partie dans le Fascicule N°62 de Janvier 1997.
Voici la suite :

LES MYSTERES DE MONTMARTRE
(deuxième partie)
« Cet étrange Sacré-Cœur qui sent le soufre »
Dans l’article précédent (bulletin n° 62), nous avons évoqué le courant historique, philosophique et religieux ayant présidé à la construction de la basilique montmartroise. Nous avons laissé entendre que cette édification comportait une autre intention que celle visant à la glorification du cœur christique.Voilà venu le moment de fournir les preuves de nos allégations.
Les architectes du Sacré-Cœur
N’importe quel visiteur peut, en levant les yeux lire deux noms gravés dans la pierre blanche : Paul Abadie et Lucien Magne. Paul Abadie (Paris 1812- Chatou 1884), architecte et restaurateur avait travaillé à la restauration de Notre-Dame de Paris, Saint-Pierre d’Angoulême et Saint-Front de Périgueux. Ce fut lui qui fournit les plans de la basilique en 1876. Paul Abadie était l’ami et le collaborateur de Viollet-le-Duc. Quant à Lucien Magne, il était l’élève du grand architecte que l’Impératrice Eugénie de Montijo appelait affectueusement « ma petite violette » en référence à sa discrétion.
Selon certaines confidences, Viollet-le-Duc, qui avait constitué un corps auxiliaire du génie durant la guerre de 1870 et participé aux sanglants combats de la Marne, aurait eu sous ses ordres un jeune officier, issu de Polytechnique, et qui devait s’illustrer de bien étrange manière. En effet, l’homme en question légua à la postérité deux prodigieux ouvrages Le Mystère des Cathédrales et les Demeures philosophales, livres consacrés à l’architecture dans ses rapports avec l’Hermétisme en Alchimie, respectivement édités en 1926 et 1930. Il s’agit de ce même auteur que nous avons évoqué dans notre article Paris Ville-Lumière et qui fit de si intéressants rapprochements entre la lettre X, le tracé de la lumière, le chat, et la cabaret du Chat Noir.
Ici, il nous faut ouvrir une parenthèse concernant la formation en matière de symbolisme de Viollet-le-Duc. Ce dernier n’était pas Franc-Maçon, aussi certains historiens se demandèrent au sein de quelle société il avait pu acquérir ses connaissances. La réponse à cette question n’a jamais été apportée. En fait, Viollet-le-Duc, comme une majeure partie des officiers de l’armée, avait reçu une initiation au sein de la société secrète des Carbonari. Ce mouvement, contrairement à ce qu’allèguent les historiens, ne prit pas naissance en Italie. Il ne fut pas non plus exclusivement une organisation secrète destinée à lutter pour l’indépendance italienne. Il est plus que probable que le Carbonarisme ait eu des origines françaises et soit né dans le Jura. Par conséquent, il aurait pu avoir des liens étroits avec les milieux anarchistes du XIXe siècle.
Les Carbonari ou Charbonniers constituaient également une maçonnerie opérative, la Franc-Maçonnerie du Bois ou de la Forêt. A ce sujet, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la maçonnerie opérative s’intéressait de très près à l’alchimie, contrairement (1) à la maçonnerie dite spéculative. En Italie, l’insurrection italienne eut, notamment, pour foyer le Piémont, ce Piémont où se situe une ville du nom de Gattinara. Les armes de cette ville sont, en raison d’un jeu de mots sur l’étymologie de son nom (gatti : chats, nara de nero : noir) un chat noir. Nous verrons dans un article ultérieur que cette coïncidence est loin d’être fortuite et qu’elle offre des prolongements insoupçonnés quant aux origines du célèbre cabaret qui connut la gloire sous l’impulsion de Rodolphe Salis.

Cette parenthèse étant refermée, revenons au Sacré-Cœur, ce Cœur Sacré. N’est-elle pas étrange la forme de cette église d’un blanc d’albâtre ? N’évoque-t-elle pas une énorme tétine dressée vers le ciel, à moins qu’il ne s’agisse justement de l’un de ces seins féminins que la littérature nous a fréquemment décrits à l’aide de l’expression soulignée précédemment ? Pour demeurer dans le domaine de la littérature, souvenons-nous que les expressions « presser quelqu’un sur son sein » et « presser quelqu’un sur son cœur » sont des équivalents. Quant aux mots sein, et saint ayant le sens du sacré, ils sont homophones. Ces jeux de langage, outre qu’ils étaient très à la mode dans la période qui nous occupe, furent toujours utilisés par les auteurs soucieux d’écrire leurs textes à différents niveaux d’entendement, afin de masquer leur pensée.
Nous allons voir immédiatement que, sous ce gigantesque calembour, se dissimule un haut point de science hermétique. Dans le domaine de la littérature alchimique, il est précisé que c’est le « bain mercuriel » ou « lait de vierge » qui livre l’embryon de soufre nécessaire à la réalisation de la Pierre Philosophale. Le bain mercuriel est, parfois, représenté sous l’allégorie d’un sein laissant jaillir le lait. Quant au soufre, il est pratiquement toujours emblématisé par un Cœur. Telle est d’ailleurs l’explication des singulières armoiries de Jacques Cœur, à Bourges, grand argentier du royaume de France, lesquelles ne sont pas uniquement allusives de son nom. Il est certes possible de contester nos affirmations, en arguant qu’il s’agit de pures spéculations intellectuelles, mais alors, il faudra nous expliquer pourquoi cet emblème du Soufre a été bâti, par suite d’une coïncidence extraordinaire, sur une Butte consacrée par les anciens à Mercure ! Ce Mercure livrant le Soufre n’est-il pas très évocateur des préoccupations de l’architecte qui construisit le Cœur-Sacré du Christ qui souffre et dont la Passion fut, elle aussi, largement mise à contribution par les alchimistes du passé dans leurs textes.
Enfin, nous allons fournir la preuve indiscutable de ce que d’aucuns pourraient encore considérer comme des hypothèses hasardeuses. Cette preuve réside dans l’étymologie, le seul guide assuré qui permette de ne pas errer dans la forêt du langage.
Quand une Basilique en cache une autre…
La démonstration qui va suivre illustrait des propos similaires ayant trait aux rapports qu’entretint François Villon avec la Coquille et la Basoche, faisant partie de notre dernier ouvrage publié (2). Nous y rappelions que l’or alchimique ou philosophique était désigné sous le nom de régulus : le petit roi. Or, en grec, petit roi se traduit par basiliskos,terme qui désigne également le basilic (animal), et parent de basilikê (royal) ayant donné le vocable basilique et son dérivé Basoche, (association de clercs). Dans les textes hermétiques, l’expression « petit roi » désigne l’embryon de Soufre. Ce soufre hermétique, les sculpteurs du Moyen-Age le figuraient par un basilic, animal ou végétal. Au point où nous en sommes, et jugeant qu’il serait inutile de se voiler la face, nous n’occulterons pas ce sein que l’on ne saurait voir.
Si nous étendons le champ de nos investigations linguistiques, concernant le Sacré-Cœur, en usant de ce que le jeune érudit Marcel Schwob nommait « La dérivation synonymique », ce Saint-Cœur en forme de sein va encore évoluer. Dans l’esprit des gens qui en furent les promoteurs, ce sein blanc ne devait-il pas prendre valeur de blanc-seing ?
Le mot seing, du latin signum, signifie un signe, une marque. Quant à l’expression blanc-seing, elle qualifie une signature apposée au bas d’une feuille blanche que le signataire confie à une personne pour qu’elle la remplisse elle-même. En matière de droit, un acte sous-seing privé désigne la signature d’un acte non enregistré devant notaire. Il est assuré que les auteurs de ce calembour magistral que fut la construction du Sacré-Cœur invitaient le passant à voir ce signal et à découvrir ce qui se cache sous ce sein… non officialisé. Nous y verrions volontiers un saint-bol (réceptacle d’une relique sacrée) et donc un symbole.
Mais quelle est la volonté qui présida à la mise en oeuvre de ce gigantesque canular ? Un seul nom s’impose, celui de l’homme qui légua à la postérité deux ouvrages relatifs à l’alchimie, signés Fulcanelli. Cette espièglerie taillée dans la pierre ne devait pa être le seul témoignage que daigna laisser l’Adepte (3).

Fulcanelli devait récidiver, de façon méritoire, par deux fois, mais en changeant de supports. Le second des pieds-de-nez utilisa la littérature, nécessita la coopération de quatre écrivains, et sa mise en place s’étendit de 1894 à la veille de la seconde guerre mondiale. Un troisième clin d’œil fut adressé au public, sous forme de canular pictural, par l’alchimiste en question. Pour mener à bien cette opération malicieuse, Fulcanelli utilisa la compétence et le talent de plusieurs peintres montmartrois. L’un des hauts lieux qui abrita cette cabale de jeunes gens, pétris de génie, travaillant à une oeuvre grandiose sous la direction d’un orchestrateur à l’imagination féconde, fut le célèbre Cabaret du Chat Noir. Au sujet de ce cabaret, ancêtre de tous les autres, et qu’anima avec une verve incomparable Rodolphe Salis, nous allons livrer des révélations inédites bien propices à « apporter de l’eau à notre moulin », lequel n’est pas sans rapport avec le Moulin de la Galette et le Moulin Rouge.
Doit-on croire que ces mystifications littéraires et picturales furent de simples jeux intellectuels et gratuits ? Certes non ! Mais si tel n’était pas le cas, devons-nous en conclure qu’il s’agissait de faire passer un message aux générations futures et pour quels motifs ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre.
à suivre…
Richard KHAITZINE
(1) sur le sens qu’il convient de donner à ce pseudonyme ainsi que sur le personnage qui en usa, lire : « La langue des Oiseaux »( éditions Dervy) de Richard Khaitzine
(2) La Langue des Oiseaux (éditions Dervy)
(3) de Adeptus : celui qui est en possession de la Pierre Philosophale.
Fin de la seconde partie dans le Fascicule N°64 de Juin 1998.
Voici la suite :
LES MYSTERES DE MONTMARTRE (troisième partie)
Un personnage anonyme en quête de quatre auteurs
Alors que je procédais à la rédaction de mon ouvrage consacré à la Langue des Oiseaux, autre nom de la cabale phonétique chère à André Breton, procédé littéraire visant à écrire un texte à différents niveaux d’entendement (1), je fus amené à m’intéresser à l’oeuvre étonnante de Raymond Roussel. Cette incursion au sein d’ouvrages réputés avoir été commis par un » fou littéraire » devait déboucher sur des croisements, des similitudes étranges, ignorés de la critique.
Raymond Roussel, fou ou génie littéraire ?
Raymond Roussel (1877, Paris – 1933, Palerme), issu d’une famille de la grande bourgeoisie normande, tient une place à part dans la littérature contemporaine. Milliardaire, dandy esthète, apparenté à tous les grands noms de l’Empire – les Ney, les Murat, les Masséna – Roussel publia tous les livres à compte d’auteur, se ruinant en adaptations théâtrales qui firent scandale. Mais qui fut ce singulier écrivain, qui, comble de l’auto-dérision, titra deux de ses ouvrages Impressions d’Afrique et Nouvelles Impressions d’Afrique, à entendre comme » Impressions à fric » ?
Celui que la Presse qualifiait de « grand bourgeois dilettante » rallia peu de suffrages de son vivant, hormis ceux des Surréalistes ; néanmoins, il suscita l’admiration d’Edmond Rostand et de Willy, le mari de Colette, celui que Rachilde, directrice du Mercure de France, appelait « l’à peu près grand homme », grand amateur de jeux de langage. C’est que Willy, lequel avait été rédacteur en chef du journal du Chat noir, avait décelé chez son confrère l’utilisation d’un procédé littéraire basé sur les assonances, les à peu près phonétiques, les rébus et les charades. Roussel devait d’ailleurs avouer dans un livre posthume, Comment j’ai écrit certains de mes livres, qu’il avait, effectivement, usé d’un tel système.
Raymond Roussel fit éditer son premier livre à l’âge de dix-sept ans. Ses premiers écrits ne parurent qu’après son décès, regroupés dans l’ouvrage précité. Ces textes de « grande jeunesse », qualifiés par la critique de « extesgenèse », incluaient Parmi les noirs, nouvelle dont Roussel prétendait qu’elle contenait en germe Impressions d’Afrique. Cette confidence, en apparence anodine, explique une partie du mystère qui enveloppe ce prodige de la littérature. Nous verrons pourquoi lorsque nous évoquerons le Chat noir.
L’un des textes-genèse « le Haut de la figure » met en scène un brave professeur de sciences quelque peu lunaire, qui enseigna cette discipline au futur écrivain. Roussel le présente sous le pseudonyme de Monsieur Volcan. Une profonde affection semble lier les deux hommes. Or ce volcan lunatique est l’une des traductions suggérées concernant le pseudonyme de l’alchimiste ayant signé Le Mystère des Cathédrales : Fulcanelli. Un examen attentif des ouvrages de Raymond Roussel montre, à l’évidence, des connaissances certaines en matière d’hermétisme. En outre, certains passages desdits ouvrages font référence à ceux de Fulcanelli alors que ces derniers n’avaient pas encore été publiés. Il ne peut donc s’agir que d’une anticipation.
Mais il y a encore plus surprenant ! Fulcanelli fit insérer à la fin du Mystère des Cathédrales un blason de complaisance porteur d’un hippocampe, animal inutilisé dans les armoiries françaises et très peu répandu dans le domaine des arts. Aussi ne peut-on qu’être surpris de voir Roussel mettre en scène, dans Locus solus une hallucinante course d’hippocampes.
Mais comment expliquer, également, qu’un certain nombre d’objets, ou de situations, décrits par Roussel se retrouvent chez trois autres écrivains qui furent ses contemporains ? Ainsi, une lanterne sourde provoque chez le lecteur des écrits d’Alfred Jarry, de Maurice Leblanc et de Gaston Leroux, un persistant sentiment de déjà lu ! Au demeurant, cette lanterne sourde (à éclairage tamisé) doit s’entendre « comme une lanterne qui n’entend pas, en vieux français, une lanterne qui n’oit pas. Le Lanternois de Rabelais, un langage réservé aux initiés..
Les familles de Leblanc et de Leroux, comme celle de Roussel, étaient originaires de Normandie ; quant à Jarry, il feignit d’avoir des prétentions nobiliaires dans cette région. Mais ceci est une autre histoire…

De telles coïncidences relèvent difficilement de l’aléatoire, mais il en est d’autres qui sont totalement improbables.
Qu’il s’agisse de la vie privée de Raymond Roussel, ou de son oeuvre, nous sommes confrontés à une véritable énigme, la dernière grande énigme littéraire… Si l’on excepte Georges Pérec qui lui voua une admiration sans bornes. Pérec savait, d’ailleurs parfaitement à quoi s’en tenir concernant les similitudes qui se peuvent relever chez Roussel, Jarry, Leblanc et Leroux.
Le mystère Raymond Roussel devait connaître un prolongement qui provoqua quelque tumulte et une belle excitation au sein du microcosme des gens de lettres. En 1989, la maison Bedel, garde-meubles attitré de la famille Roussel, déposa plusieurs cartons à la Bibliothèque Nationale. Ces colis contenaient les papiers personnels de Raymond Roussel. Selon la Maison Bedel, « les dits cartons s’étaient égarés » ; cette version fut unanimement admise. Mais doit-on admettre une histoire aussi rocambolesque sans se poser de questions ? Cet héritage inattendu, outre les carnets d’adresses de la famille, des photos et la correspondance de l’auteur, comportait près de trois mille pages inédites et des premiers jets. Cette réapparition des papiers de Raymond Roussel eut lieu cinquante-neuf ans après leur dépôt chez Bedel. Dès lors, nous sommes en droit de nous interroger sur la « négligence professionnelle » de cette honorable maison. Ne répondait-elle pas à une exécution testamentaire ?
L’avant dernier livre de Roussel, Les Nouvelles Impressions d’Afrique, incluait cinquante-neuf dessins – justement – commandés à Henri Zo, un peintre réputé dénué de talent. Ces dessins, sans grande valeur artistique, n’offrent guère d’intérêt au premier coup d’œil, au point que l’on est amené à se demander pour quelles obscures raisons Roussel imposa à Zo des directives précises quant aux scènes qu’il le chargea d’illustrer. L’un de ces dessins montre une silhouette tenant une Lanterne sourde ! ce sont ces cinquante neuf gravures qui servirent à Roussel, Jarry, Leblanc et Leroux de canevas commun, un canevas sur lequel tous quatre brodèrent leurs écrits. Cette constatation, déjà étonnante dont personne ne semble s’être avisé, va adopter des dimensions stupéfiantes.
S’il est évident que le personnage d’Arsène Lupin, cambrioleur et champion du travestissement et du changement d’identité, possède toutes les caractéristiques du dieu Mercure et que ces mêmes caractéristiques s’appliquent au mystérieux Mercure alchimique, que penser des personnages inventés par Gaston Leroux ! Qu’il s’agisse de Rouletabille, d’Erik le fantôme de l’Opéra ou de Chéri- Bibi, boucher et assassin, poursuivi par une implacable fatalité, c’est à un voile rouge couvrant sa vue qu’il doit d’être poussé au meurtre, inéluctablement. A supposer que l’on puisse encore invoquer la sacro-sainte loi des coïncidences,comment nous expliquerait-on que le numéro de matricule du bagnard Chéri-Bibi soit le 3216 ? Les probabilités seraient prodigieuses qui auraient fait que les nombres 32 et 16 soient justement ceux de la masse et du numéro atomiques du soufre en chimie !
La surprise est portée à son comble quand on s’avise que le second oeuvre alchimique, la phase où s’obtient le Mercure, est désigné sous le nom d’Oeuvre au blanc. Quant au troisième oeuvre, phase axée sur le Soufre, il est qualifié d’Oeuvre au rouge. N’est-il pas étonnant que deux écrivains ayant illustré dans leurs écrits ces processus se soient réellement appelés Leblanc et Leroux ? Il faut en conclure que l’homme ayant orchestré cette opération ne laissa aucune place au hasard et qu’il était un génie.
Richard KHAITZINE
(1) La Langue des oiseaux fut usitée par Marie de France. Il s’agit du jobelin ou jargon de François Villon, du Lanternois de Rabelais, de la Pointe de Cyrano de Bergerac, ou encore du langage pun (petit langage des enfants) de Jonathan Swift.
(2) Cette démonstration vaut pour Roussel et Jarry mais en faire l’exposé ici nous entraînerait bien trop loin de notre propos.

Il était une fois… Brocéliande
Richard Khaitzine
Commencer un article, consacré à Brocéliande, par la formule magique qui ouvre la porte sur le monde enchanté des contes peut paraître inadéquat. Cette objection serait justifiée si elle s’appliquait à la Brocéliande des cartes IGN actuelles. À ceci près que la Brocéliande des romans arthuriens n’est pas « d’ici » et que la présence de la Fée Viviane justifie bien l’emploi de la clé qui actionne la serrure d’une porte donnant sur un « ailleurs » mystérieux.
Un peu d’étymologie…
Brecheliant constitue la plus ancienne forme connue du nom de Brocéliande. Par suite, certains en conclurent que ce nom de lieu avait été forgé sur le mot celte Brec’h, signifiant colline et un nom propre. Par la suite, il fut supposé que le nom de Brocéliande aurait pu être tiré de Bro – pays en Breton. Toutefois, il semblerait que cette hypothèse ne soit redevable qu’à une invention de Chrétien de Troyes.(1) On supposa, également, que Brocéliande tirait son origine de Brecilien, une forme ancienne de Brécheliant, dénomination basée sur Bre (colline, au sens de motte de terre) et Silien (nom d’homme). On peut relever trois Brecilien ou Bressilien en Bretagne, de nobles lieux ayant comporté une motte de terre féodale.
Une localisation… évanescente !
Si, aujourd’hui, il est admis que Brocéliande est assimilable à la forêt de Paimpont ou à celle de Hulgoat, ce ne fut pas toujours le cas. Plus anciennement, Brocéliande était localisée dans la forêt de Quintin. Toujours est-il que cette mystérieuse forêt, indissociable des chevaliers de la Table Ronde et de Merlin et Viviane, apparut pour la première fois dans des textes de 1160. Curieusement, il ne s’agissait aucunement de « littérature arthurienne » ; elle figure dans le Roman de Rou, écrit par Robert Wace, un poète anglo-normand. Ce roman conte l’épopée nationale normande et celle des Vikings du temps de Rollon. On doit à ce même auteur Le roman de Brut qui, lui, relatait l’histoire des Anglais. Wace, évoquant les chevaliers bretons qui participèrent à la conquête de l’Angleterre, écrivit : « Ceux de Brecheliant dont les Bretons disent maintes légendes… ». Il mentionne également un autre lieu, rendu célèbre par la Geste Arthurienne : « La fontaine de Berenton/sort d’une part lez le perron… », en précisant qu’elle possède des vertus merveilleuses. Vingt ans s’écoulèrent avant que Chrétien de Troyes, dans son Chevalier au lion, n’évoque Brocéliande, une forêt merveilleuse dont la fontaine – non nommée par lui – est défendue par un chevalier invincible.
De 1180 à 1239, plusieurs auteurs citèrent Brocéliande : Huon de Mery, Guillaume Le Breton, Girald de Cambrie, Alexandre de Neckham et Robert de Boron.(2) Brocéliande est également mentionnée dans le roman occitan de Jauffré. C’est ce personnage qui, selon les versions, restitue Excalibur, l’épée d’Arthur, à la Dame du Lac, la Fée Viviane qui éleva Lancelot (d’où le surnom de celui-ci) (3)
Il convient de préciser qu’aucun de ces auteurs ne précise l’emplacement de la forêt. Certains se contentent d’indiquer qu’elle se situe en Bretagne armoricaine. Ce fut Robert de Boron qui, le premier, associa Merlin – le catalyseur de la Quête – à Brocéliande.
Les hypothèses modernes.
Elles sont variées et de valeur contestable. Il faut se souvenir que, pour Wace, cette forêt se situait en Bretagne armoricaine, alors que, sous la plume de Chrétien de Troyes, elle semble se situer outre-manche. Les premières tentatives d’une localisation de ce lieu remontent à 1467. À cette époque, de grandes familles bretonnes, désireuses de se trouver d’illustres origines, appuient leurs prétentions sur l’acquisition et la possession de terres « arthuriennes ». Ainsi, et à titre d’exemple, en 1475, les Rohan affirmaient être issus d’Arthur et être propriétaire du château de la Joyeuse Garde ; quant aux Laval, ils prétendaient reconnaître en leur terre de Brecilien le Brecheliant de Wace. Par suite, et afin de faire bonne mesure, ils inventèrent la fontaine magique et se proclamèrent seigneurs de Brocéliande.
Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, les auteurs romantiques optèrent pour différentes localisations. L’abbé de La Rue évoqua la forêt de Lorges près de Quintin, Châteaubriand identifia Brocéliande à Becherel. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, il écrit : « Au douzième siècle, les cantons de Fougères, Rennes, Bécherel, Dinan, Saint-Malo et Dol, étaient occupés par la forêt de Bréchéliant ». Et l’illustre écrivain d’ajouter : « je tiens Bréchéliant pour Bécherel, près de Combourg. »
Puis, certains auteurs (dont le plus imaginatif semble avoir été Blanchard de la Musse, s’appuyant sur la charte des Usemens de Brecilien de 1467, inventèrent le Tombeau de Merlin, et le Val sans Retour, qu’ils situèrent dans les environs de Montfort et Paimpont. Dès 1835, l’identification de Brocéliande avec la forêt de Paimpont fit pratiquement l’unanimité. Depuis les années 1980, nombre d’auteurs mettent en doute cette identification. Ils localisent Brocéliande à Huelgoat,(4) à Paule,(5) dans la région de Dol, voire en Normandie – ce qui, concernant cette dernière hypothèse, est contraire aux textes les plus anciens. Précisons que, chez les trouvères, Bresilianda, désignait la Bretagne armoricaine en son entier.
On pourrait citer, également l’hypothèse de Guillaume Kerfontaine qui situe Brocéliande à Broualan, proche de la Boussac et d’Epiniac, ou encore la thèse Payen-Bertin qui la délocalise dans le Maine.
Pour Merlin,
Pas celui des récits, l’autre, mon vieux complice et ami…
La mort de Merlin… en guise de Conclusion… enfin presque !
Même ceux qui n’ont jamais lu la littérature médiévale savent que Merlin, fou amoureux de son élève Viviane, s’en alla la retrouver à l’orée du Val sans Retour. Or Merlin commit l’imprudence de livrer à son élève ses ultimes secrets. Il lui révéla comment retenir un homme prisonnier à l’aide de liens invisibles. Bien que n’étant pas dupe des intentions de la belle, ni des stratagèmes inventées par elle, Merlin, résigné, s’achemina vers sa fin. Selon une version, ayant pris l’apparence d’un vieillard à la demande de Viviane, il se retrouva dans l’incapacité de se défendre et finit enterré vivant dans la tombe de Tristan et Iseult. Une variante, plus connue, montre Viviane qui, usant de ce que Merlin lui a enseigné, enferme le Mage dans une prison aérienne. Il est dit que Merlin aurait pu s’évader de sa geôle d’air, parce qu’elle est née de son seul consentement. Il aurait suffi qu’il la récuse pour quelle s’évanouisse dans l’éther…car il n’avait d’autre geôlier que sa propre passion et n’était prisonnier que de son cœur !
Bien qu’il s’agisse d’un mythe – mais les mythes ne sont pas uniquement des histoires à dormir debout ! – relayé par Robert Wace, puis repris par Chrétien de Troyes, et que Brocéliande soit du domaine de l’imaginaire,(6) il circula, autrefois un très curieux document. C’était il y a de cela quelques décennies, il fut dit qu’une photo avait été prise sur les lieux supposés de l’emprisonnement de Merlin. Au développement, la photo en question montrait, prétend-t-on, une bulle superposée sur le paysage. Qu’en dire ? Impossible ? Les plus anciens d’entre-nous se souviennent de Ted Serios, l’américain qui, en fixant un objectif, imprégnait la pellicule de ses pensées… Et, si Brocéliande, était un site, situé dans un espace-temps différend, et qui serait visible uniquement à ceux qui, à l’instar de Perceval, ont le cœur pur ?
PS. Merlin et moi-même entendons bien ne pas mettre un point final à cette aventure Arthurienne et dans les numéros à venir, nous nous engageons à vous donner, à la fois les informations historiques permettant de comprendre comment s’est forgé le mythe, mais également quelques pistes de nature hermétique.
Richard Khaitzine




(1). Né vers 1135 – peut-être à Troyes – ce poète dont on ne sait pas grand-chose, et décédé vers 1185, se serait vu passer commande d’ouvrages de chevalerie par Marie de Champagne, fille d’Aliénor d’Aquitaine et de Louis VII. Il fut l’auteur présumé de Lancelot ou le Chevalier de la charrette (1176), Yvain ou le Chevalier au lion (vers 1176), ou encore Perceval ou le Conte du Graal (vers 1180). Ces œuvres, inspirées de vieux mythes celtes et de légendes bretonnes, font la part belle au dilemme, auquel se trouvent confrontés les héros, et qui consiste à choisir entre l’amour de leur Dame et les devoirs moraux du code chevaleresque. Les écrits de Chrétiens sont fortement teintés de christianisme.
(2). Chevalier Franc-Comtois (dit-on…) de la fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle, on lui doit : Le Roman de l’Estoire dou Graal (1190-1199) ; Joseph d’Arimathie : Le Roman du Graal, Merlin en prose. Emboîtant le pas à Wace et Chrétien de Troyes, de Boron accentua l’orientation catholique de l’histoire. Ce fut lui qui attribua à Galaad une parenté avec Joseph d’Arimathie (arrière grand-père), au prix d’un surprenant anachronisme. Par suite, sous sa plume, le Graal devint une relique chrétienne, le Saint Calice ayant recueilli le sang du Christ lors de la crucifixion. Ce « vase » dont Joseph d’Arimathie est censé devenir le gardien, est celui, également, que se verra attribué Marie-Madeleine dans l’hagiographie chrétienne. Toutefois, une fois dépouillé de ses connotations religieuses, le mythe en question s’avère particulièrement porteur de symbolisme alchimique.
(3). Lancelot du Lac, ce nom me réjouit toujours quand je le rattache à une anecdote plus moderne. En effet, Victorien Joncières – de son véritable nom Félix Rossignol – avait composé un opéra pour la cantatrice Emma Calvé… la bonne copine de l’abbé Saunière. Willy – le mari de Colette – dans une critique acerbe, signée l’Ouvreuse (ça ne s’invente pas… mais les lecteurs de Gaston Leroux et, notamment, de son Fantôme de l’Opéra, apprécieront) descendit son … en flammes, si j’ose dire, écrivant : « Lancelot du Lac… déjà le titre est pompier ! »
(4). Thèse de Gw. Le Scouëzec
(5). Thèse Even
(6). Qui n’est pas sans faire penser à la Troie du pseudo Homère ou à Jérusalem, des cités plus célestes que terrestres.
Voilà ! Merci de votre lecture et encore un énorme merci à Lydia pour le partage et pour nous autoriser à faire perdurer l’oeuvre de Richard ! C’est un honneur !